Elles sont omniprésentes

C’est un des termes le plus employé sur le net depuis les prémisses de la réforme de la formation professionnelle il y a plus d’un an. Avec la loi « Liberté de choisir son avenir professionnel», apparaissent de nouveaux intitulés associés aux compétences : la création d’une institution nationale publique « France Compétences », la transformation du plan de formation en plan de développement des compétences ou le passage des OPCA en Opérateurs de compétences. Même les structures chargées de conseil ou d’accompagnement ont fait évoluer l’intitulé de leur fonction comme le conseiller bilan qui devient parfois un coach en développement des compétences.

La ministre du travail, Muriel Pénicaud a souvent répété dans ses interventions que « personne n’est inemployable » et que « la meilleure protection contre le chômage, c’est la compétence ». D’autre part, une enquête de l’Institut de l’Entreprise, réalisée en 2018, en partenariat avec le cabinet Elabe, sur l’employabilité, précise que 67% des actifs considèrent urgent d’acquérir de nouvelles compétences notamment à cause de l’évolution des métiers.

Le développement des compétences serait donc un enjeu crucial, tant pour les individus dans le cadre de la gestion de leur évolution professionnelle que pour les organisations qui se doivent de repenser le développement permanent des compétences de leur personnel sous peine d’une obsolescence annoncée.

Le gouvernement a choisi d’insister sur la place des compétences dans le paysage de l’emploi et de la formation. Il en a fait une priorité en nommant un Haut- Commissaire aux compétences et à l’inclusion par l’emploi en juillet 2018 et en réalisant un effort sans précédent avec 15 milliards d’euros (sur 5 ans) dans la création du Plan Investissement dans les Compétences (PIC), qui vise à former 1 million de demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés et 1 million de jeunes éloignés du marché du travail. L’objectif est d’intensifier et d’accélérer l’effort de formation professionnelle des plus vulnérables pour les protéger contre le manque ou l’obsolescence rapide des compétences, dans un contexte de bouleversements incessants du marché du travail (révolution numérique, robotique, écologique…). Dans l’appel à projets « 100% Inclusion », la finalité affichée est l’accès à l’emploi ou à l’activité durable à travers l’expérimentation de parcours s’appuyant sur le développement et la valorisation des compétences.

Les compétences, de quoi parle-t-on ?

Une imprécision du concept

Même si elles sont centrales dans notre société, les compétences ne sont pas toujours définies avec clarté. La moindre recherche sur Google propose plus de 76 000 000 pages sur la compétence assorties de multiples définitions, ce qui a bien évidemment des conséquences sur son appréhension.

Terme polysémique, la compétence est souvent formulée comme une activité précédée de « savoir » (savoir-dépanner une machine par exemple) ou une capacité (sens de l’organisation par exemple).

Mais la compétence n’est pas l’activité. L’activité précise ce qui est fait mais elle ne dit en rien si cela est fait conformément à ce qui est attendu, ce que la personne a mobilisé pour le faire, ni comment elle s’y est pris.

Par ailleurs, la compétence ne peut être réduite à l’ensemble des ressources nécessaires pour réaliser l’activité (une addition de savoir, savoir-faire, savoir-être). Nommer des compétences trop larges peut générer d’autres ambiguïtés dans la mesure où les contextes conditionnent fortement la mobilisation de ces compétences.

Quelles convergences dans les définitions ?

Dans la plupart des définitions actuelles, deux éléments paraissent faire consensus :

  • On est compétent POUR un ensemble de situations professionnelles DANS un contexte donné et avec un niveau d’exigence également donné
  • La compétence est fondée sur la mobilisation et l’utilisation efficiente d’un ensemble de ressources au regard des finalités poursuivies dans l’activité de travail et mis en œuvre dans des contextes d’une certaine complexité.

La compétence pourrait donc être définie comme l’acte de mobiliser et de combiner les ressources adéquates dans un contexte donné pour faire face de manière efficace aux situations professionnelles auxquelles une personne est confrontée.

Un modèle de la compétence

Une distinction entre deux formulations peut être utile pour appréhender le sujet : avoir des compétences et être compétent.

Dans un CV ou un référentiel, c’est souvent AVOIR DES COMPETENCES (avoir des ressources) qui est choisi. On y trouve un ensemble de termes génériques (mots valise) nécessaires pour réaliser une activité, mais déconnectés du contexte et ne prenant pas en compte le résultat.

ÊTRE COMPÉTENT, entendu comme un agir avec compétences, s’intéresse davantage à la manière de mettre en œuvre des pratiques professionnelles et des combinatoires de ressources pertinentes. Être compétent, ce n’est pas agir au hasard, mais en toute conscience, selon les règles de l’art (mode opératoire, exigences, normes…) quelles que soient les conditions d’exercice (variations du contexte, du public, météo, saisonnalité…).

Cette formule est davantage en phase avec notre société incertaine et imprévisible car elle instaure la notion de variabilité et notamment « le faire » en situation dégradée, quand tout n’est pas réuni pour agir et qu’il s’agit d’élaborer des stratégies de régulation pour faire face.

Des enjeux à moyen terme

Si le développement des compétences est fondamental, il convient aussi de s’interroger sur la manière de prendre en considération les compétences déjà mises en œuvre et leurs usages dans le futur. Ce sujet n’est certes pas nouveau mais il se pose aujourd’hui avec plus d’acuité dans la mesure où la valorisation de l’expérience peut devenir un outil incontournable dans les stratégies individuelles d’évolution professionnelles. Comment faciliter les inférences entre l’activité (ce qui a été fait) et le savoir agir en situations ?

Les soft skills, incontournables ?

Ces « compétences douces » sont essentielles pour un bon nombre de recruteurs et suscitent de plus en plus d’intérêt dans les entreprises. On trouve aujourd’hui plusieurs publications sur les compétences nécessaire dans l’avenir, notamment celles que chacun devra pouvoir mettre en œuvre quelle que soit son activité professionnelle, comme les compétences d’apprentissage, d’innovation et de collaboration.

Dans une société où les métiers de demain ne sont pas encore connus, où l’intelligence artificielle fait débat et où le faire face en situation devient essentiel, les soft skills apparaissent comme des ressources intéressantes à appréhender puisqu’elles permettent de donner quelques pistes prédictives d’une mise en œuvre dans un contexte non défini à priori.

Pour les populations les plus éloignées de l’emploi, ces compétences pourraient permettent d’augmenter le niveau d’employabilité de chacun et de compenser un déficit en qualification ou en expérience.
Dans nombre d’articles, elles se rapprochent de ce qui est communément appelé savoir-être comme la créativité ou l’adaptabilité. Mais elles semblent plutôt recouvrirdes compétences situationnelles et sociales (savoir bâtir du sens commun par exemple) plus larges que les savoir-être.

Vers des compétences transposables

Un enjeu important sera de faciliter la transposition des compétences d’une situation à une autre. Avoir été compétent dans un contexte précis peut-être transportable dans un autre contexte mais seulement à certaines conditions.

Les compétences seront d’autant plus transférables qu’elles renvoient à des savoir agir indépendants du contexte. Par exemple, pour concevoir une installation électrique conforme, même si l’environnement change, les normes et règles de l’art seront les mêmes. Ainsi, la réalisation de certains gestes médicaux nécessitera le respect de protocoles. Simplement, on s’adaptera au contexte en veillant à un certain nombre de paramètres. Moins les règles de l’art sont explicites et formalisées, plus c’est l’adaptation au contexte qui permettra la réponse adéquate.

Cependant, ce n’est pas parce que quelqu’un n’a pas mobilisé une compétence indispensable dans l’adaptation à un nouveau poste qu’il n’est pas capable de la mobiliser. On l’ignore simplement. Donc, plus les situations de travail seront éloignées, plus le pronostic d’adaptation à une autre situation sera aléatoire. Et on pourra uniquement le constater en situation. D’où la nécessité de veiller à ce que les situations de travail soient apprenantes. En ce sens, le développement des AFEST (actions de formation en situation de travail) est une indication d’une synergie plus grande entre formation et travail et de nouvelles modalités prévisibles de développement et de reconnaissance des compétences.

Par ailleurs, s’adapter à une nouvelle fonction, un nouvel emploi n’est pas qu’une question de compétences. D’autres types d’éléments peuvent intervenir: connaissances des contextes de travail, type de management, investissement personnel…

Par contre, le savoir transposer un savoir agir d’un contexte à un autre est une véritable compétence, sans doute une des plus utiles compte tenu des évolutions des situations de travail.

Un focus sur l’argumentation

L’enjeu ne se situe plus uniquement dans la description et la mise à plat des compétences liées à une expérience passée mais davantage dans les possibilités d’argumentation face à un tiers non spécialiste. Nous sommes donc entrés dans l’ère de la promotion de ses propres compétences, l’autopromotion en somme. Ce qui se développe en terme de modalités de valorisation de soi notamment sur les réseaux sociaux nous l’indique clairement. Est-ce crédible ? devient une question centrale pour chacun.

Face à ce déferlement d’auto valorisation, l’entrée par les résultats de la compétence permettrait de se rapprocher des modèles de la preuve et de sortir du déclaratif peu étayé : « A quoi avez vous su que vous étiez compétent dans cette situation ? ». Cela nécessite évidemment un travail sur les indicateurs de résultat (quantitatif, qualitatif, conformité, effets produits…) dans une logique d’évaluation, au sens de « donner de la valeur ».

Comment aider chacun à développer une inférence inductive sur son champ de compétences ? Dans l’accompagnement, il s’agit de permettre à chaque personne à travers un travail sur son expérience de formaliser les prémisses qui permettront d’amener un tiers à une conclusion (résultats, preuves) en réduisant les incertitudes ou les doutes. L’art de convaincre, en somme.

Alors, quelles compétences pour demain ?

On voit bien que les transformations du travail accélérées et l’importance prise par les compétences adaptatives et psychosociales (savoir faire face aux évènements, apprendre sans cesse, gérer la complexité) pose la question d’un formalisme rigide inadéquat au regard des enjeux de souplesse. Cela interroge nos outils de capitalisation et nos modalités de recrutement. Est ce que la maîtrise du savoir garantit de savoir le mobiliser en situation ? Ainsi le savoir acquis par un excellent étudiant en médecine ne garantit rien sa capacité à assumer un service d’urgence.

Plus la plasticité et l’agilité seront nécessaires, plus la question d’autres formes d’inférences se posera. Plus les situations de travail seront événementielles, moins nos procédures seront pertinentes. Car les routines et protocoles seront justement assurés par les robots et les algorithmes. D’ici là, nous aurons sans doute construit de très nombreux référentiels dont on peut penser qu’ils ne feront plus référence. D’où la nécessité de réfléchir dès à présent aux bouleversements que l’on perçoit à travers une multiplicité de signaux faibles.

Et les perspectives sont plutôt à des approches souples, itératives, en contexte qu’à des référentiels détaillés, lourds, vite obsolètes et inopérants.

En somme, penser une compétence vivante et incarnée, dans sa dynamique d’action et non réduite à une check-list interminable. Penser l’agilité des compétences.

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