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Enjeux et conditions La participation est à la une. Citoyen acteur, co responsabilité, usager contributeur… les formules ne manquent pas…Solution clé en main pour remettre de la délibération crédible dans une démocratie représentative à la peine ? Levier pertinent...

ÉDITO

Par Agnès Heidet

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Changer, certes mais avec quelle boussole ?

Les transformations brutales et les évènements qui rythment notre quotidien depuis plus de 2 ans ont de multiples conséquences sur nos vies. Covid-19, réchauffement climatique, tensions sociales, crises du recrutement…ce ne sont que quelques facettes d’un moment collectif complexe où chacun cherche à construire une sorte de stabilité dans un environnement aux repères vacillants. L’inversion rapide du marché du travail est une de ces conséquences. Les difficultés de recrutement n’ont jamais été aussi significatives. La dernière enquête BMO publiée par Pôle Emploi en avril 2022 confirme que les perspectives de recrutement vont augmenter de manière importante (+12%) mais également que la probabilité que ces recrutements soient difficiles est également très élevée (58% des entreprises le pensent). Dans l’Union Européenne, la pénurie de main d’œuvre se fait sentir. Un article récent du quotidien Le Monde est introduit ainsi…. « Un chèque pour accepter de venir passer un entretien d’embauche, des horaires plus flexibles, des avantages en nature tels qu’un abonnement en salle de sport… Face à la pénurie de main-d’œuvre, les entreprises de Prague, Bucarest, Berlin ou Stockholm rivalisent d’ingéniosité pour attirer les candidats. »

Mais l’autre facette, c’est une demande accrue de changement professionnel qui se manifeste à la fois dans le recours au bilan de compétences et au conseil en évolution professionnelle. Ainsi, la demande d’évolution professionnelle est intense mais également complexe. Une note d’étude très récente du CEREQ (1) en montre toutes les subtilités et les enjeux. Face à cela, la puissance publique cherche à concilier à la fois une incitation forte pour mobiliser le public vers des secteurs dits en tension, les fameux secteurs porteurs (fléchage de financements de formation, opération séduction des différentes filières, mise en œuvre de transitions collectives) et la création de dispositifs multiples censés aider chacun à trouver sa voie.

Si rien n’est simple dans la période, le risque est toujours de mobiliser les mêmes leviers d’action en changeant simplement d’intensité. En somme, faire toujours plus de la même chose. Or, la faible efficacité actuelle de toutes ces démarches (le public ne répond pas nécessairement aux incitations multiformes dont il est destinataire) interroge. Car tout cela semble occulter un certain nombre de paramètres :

Aucun de nous n’est guidé par la seule rationalité. Nous sommes faits de nos expériences, de la manière dont nous les avons décodées, interprétées, assimilées, transformées pour construire, chemin faisant notre histoire singulière. Mais au-delà de cette dimension narrative essentiellement personnelle, nous sommes aussi influencés, sensibles à de multiples biais cognitifs que les médias et vendeurs en tous genres utilisent sans vergogne. Nous sommes aussi porteurs de représentations sociales qui guident nos actions, des plus anodines au plus impactantes.

Mais si nous sommes des êtres de routine, si les habitudes façonnent notre quotidien, une partie de nous, dans l’ombre, sommeille, qui ne demande qu’à être activée pour émerger d’une léthargie parfois très longue. Des circonstances particulières peuvent créer les conditions de cette émergence. La période Covid mais surtout le confinement, dans sa dimension totalement inédite, ont provoqué des prises de conscience multiples, profondes, parfois douloureuses, souvent radicales. Cette partie de nous qui sommeille interroge le sens de notre action, la part que nous prenons à notre destin collectif à un moment de notre histoire où nous ne nous sommes jamais sentis aussi fragiles, menacés tant par des virus non maîtrisables, des conquêtes et violences guerrières qui nous paraissaient impossibles, des transformations climatiques accélérées qui ouvrent à d’autres inquiétudes. 

Et le travail dans tout cela ? Le constat brutal du dérisoire de certaines activités de travail mais également la violence avec laquelle certains d’entre nous ont été assignés à résidence, sans possibilité de télétravailler, au nom des fameuses tâches indispensables à créé une interrogation plus existentielle sur notre rapport au travail. Non seulement nous ne sommes pas indispensables, potentiellement remplaçables à terme par des algorithmes, des IA voire des plateformes de mise en relation mais le crédit que l’on accorde à notre contribution, nos compétences, n’a de valeur que dans un temps restreint, indéfini qui ne dit rien sur l’avenir. Une expérience intime et quotidienne de la contingence et de la vacuité. Au fond, la confiance que l’on nous accorde n’a pas grand-chose à voir avec notre savoir, nos compétences voire tout simplement notre investissement. Ce constat, souvent peu explicité, faiblement élaboré se manifeste aujourd’hui dans ce flux ininterrompu de personnes qui souhaitent se réorienter dans une activité qui aurait du sens, dont les effets seraient appréhendables, visibles, objectivables. Qui permettraient de prendre sa part dans les défis du monde

Car c’est une autre dimension de cette rupture qui se joue. A force de dématérialiser l’activité de travail, de construire des procédures rigoureuses qui se contentent de compter, de calibrer, le professionnel en vient souvent à passer plus de temps à justifier son activité qu’à la réaliser. Dans une interview récente, Alain Supiot, juriste, professeur émérite au collège de France nous alerte : La gouvernance par les nombres traite tous les travailleurs – dirigeants comme dirigés – comme des ordinateurs bipèdes. Ils doivent rétroagir en temps réel aux signaux qui leur parviennent pour réaliser les objectifs chiffrés fixés par des programmes. Ils sont ainsi enfermés dans les boucles spéculatives d’une représentation chiffrée du monde, déconnectée de leur expérience concrète des tâches à accomplir. Bien avant la pandémie, les personnels hospitaliers se plaignaient ainsi de devoir « soigner les indicateurs plutôt que les malades ».

Cette invisibilité du travail atteint son paroxysme. Le processus de grande démission observé partout sur la planète (voir l’article de Reporterre) suppose de regarder les choses avec suffisamment de hauteur pour percevoir les multiples facteurs en jeu. La réponse n’est pas de faire plus de la même chose : plus d’argent pour la formation, plus de promotion sur les secteurs en tensions, plus de pression sur les citoyens au moment de leur choix, plus de contraintes sur les professionnels dans la gestion de leur travail. Non, accompagner les vies professionnelles, c’est prendre en compte plusieurs dimensions :

Une dimension existentielle : quel sens tout cela a pour moi à ce moment de ma vie et dans le monde que nous partageons ? Une dimension coopérative : comment puis-je faire ma part et ne pas m’épuiser dans des activités parfois absurdes dont l’apport au bien commun est souvent discutable ? Une dimension écologique : comment puis-je reconstruire des équilibres, réagencer nos investissements sans épuiser les ressources rares : celles du monde et nos propres ressources d’humain ?

De fait, les professionnels intervenant dans l’accompagnement des transitions professionnelles doivent eux aussi se doter d’approches multiformes et hybrides pour prendre en compte ces processus paradoxaux de désaffiliation, et cette demande insistante de lien et de reconnaissance. Car accompagner les paradoxes, ceux que nos sociétés génèrent, ceux que nous portons en nous, est plus que jamais une nécessité. Ce n’est pas uniquement savoir ce que l’on veut qui est l’enjeu. C’est aussi aider à construire pas à pas, chemin faisant un parcours, non totalement aléatoire, balisé mais ouvert aux opportunités. Et c’est à ce moment de la bascule, quand on se lance, que l’appui d’un professionnel est essentiel et pas uniquement avant pour élaborer des plans qui seront caducs parfois assez vite.

Et donc, si nous accompagnions pendant le changement (et pas uniquement avant pour élaborer projet et plan) ? La vraie rupture viendra quand on commencera à prendre conscience de l’importance d’un accompagnement simultané au processus de changement. En somme accepter et valoriser itérativité, changement de cap et réagencements permanents.

Et aussi, consentir que, si rien n’est écrit, si plusieurs chemins sont possibles, il est aussi important d’être soutenu quand on prend la route. Tous ceux qui font de la randonnée avec un guide ou qui partent en mer avec un marin voient très bien de quoi nous parlons. Et étonnamment, nous avons oublié ce qu’est un éclaireur. Éclairer, fournir quelques balises et soutenir pendant l’action.

Agnès Heidet et André Chauvet

(1) Jeremy Alfonsi, Mickaël Segon. « Le changement c’est maintenant ? Analyse qualitative des rapports au travail des porteurs de projets de réorientation en temps de crise sanitaire », Trajectoires et carrières contemporaines. Nouvelles perspectives méthodologiques. Échanges n°18, Cereq, 2022.

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