Le projet de loi « pour choisir son avenir professionnel » est en préparation. L’objectif affiché est de faciliter des choix éclairés pour chacun : bien évidemment, tout le monde peut se retrouver dans cette finalité générale.
Néanmoins, les transformations à venir n’en sont pas moins troublantes pour ceux qui y sont confrontés. Une réforme est souvent définie comme un changement de caractère profond, voulu, dans le but d’obtenir une amélioration d’une démarche ou un meilleur fonctionnement pour un service.
Malgré cette volonté affirmée, beaucoup s’interrogent :
- Mais de quel bon fonctionnement parle-t-on ? S’agit-il d’améliorer la qualité ? De réduire les coûts ? De simplifier le système ?
- Et pour qui ? Les usagers ? Les professionnels ? Les institutions ?
Le monde est en transformation rapide et la société change. De nouveaux droits apparaissent, essentiels pour contribuer à une plus grande équité sociale. Faciliter l’accès de chacun à ces droits suppose donc de réfléchir à la manière d’organiser le système et les services et de les faire évoluer en permanence. Mais il s’agit aussi de prendre en compte quelques principes souvent oubliés ou ignorés.
Les réformes du travail, de la formation professionnelle, de l’apprentissage ou de l’indemnisation du chômage devraient prendre en considération plusieurs points :
1 – Anticiper
Il ne s’agit plus seulement d’accompagner le changement, aujourd’hui omniprésent, ni de le prévoir mais de permettre l’anticipation des mouvements, ces petites vagues du futur. Cependant, on confond souvent anticiper et prévoir.
La prévision, c’est voir à l’avance, avec certitude, quelle situation va se produire, quand elle va se produire et avec toutes ses caractéristiques. Elle se fonde sur un calcul de tendance à partir de données collectées durant une période passée. Ainsi nous attendons de la prévision météorologique qu’elle nous livre le temps qu’il fera d’ici 3 ou 4 jours avec fiabilité (4/5 par exemple). Or, que faire quand hier n’éclaire plus aujourd’hui ?
Sous le vocable « anticiper », on intègre la part d’incertitude, donc plusieurs scénarios. On considère que plusieurs choses pourraient se produire ou se présenter et qu’il s’agit d’être en alerte sur les signes précurseurs qui orientent vers telle ou telle alternative afin de créer les conditions pour rendre possible l’agir en situation : aider les usagers à développer une veille anticipatrice sur les signaux faibles.
Ansoff, l’un des fondateurs du management stratégique, parle de « signaux faibles », comme d’une information, souvent peu signifiante, mais dont l’interprétation peut nous alerter sur une situation qui se prépare, susceptible d’avoir des conséquences importantes (en termes de bonne occasion à saisir ou de menace à éviter).
2 – Les « soft skills »
A travers l’encouragement de la formation en situation de travail (dans les choix du gouvernement pour réformer le système de formation), la manière d’aborder les ressources ou les compétences doit aussi évoluer. Puisque rien de ce qui arrivera n’est prévisible, il semble plus judicieux de se tourner vers le développement des soft skills, ces fameuses compétences situationnelles et sociales, plutôt que de s’évertuer à identifier des savoir-faire décontextualisés utiles dans des situations de travail peu évolutives. Les « hard skills » (compétences démontrables) acquises par l’individu recouvrent les compétences techniques ou académiques qui ont donné lieu à des diplômes, à des certificats, à des titres…. Elles sont souvent nécessaires pour mener à bien une activité professionnelle mais ne sont pas suffisantes dans ce monde en transformations incessantes. A l’inverse, les soft skills, plus informelles, orientées vers les interactions humaines, sont indispensables pour assurer les missions d’aujourd’hui et celles de demain, pas encore calibrées. Elles font appel à l’intelligence émotionnelle et jouent un rôle clé dans l’épanouissement d’un individu au sein de son environnement.
3 – Les algorithmes
Les algorithmes, ces nouvelles techniques de calcul, bouleversent la société et régissent une bonne partie de nos vies. À travers la recommandation de produits, le ciblage des comportements ou l’orientation des déplacements, ils s’immiscent, de plus en plus dans la vie des individus.
Certains considèrent aujourd’hui que les algorithmes sont garants de l’efficacité, mais aussi de la neutralité surtout dans les situations qui nécessitent de s’engager ou de trancher pour une option ou une autre. Mais ils produisent souvent une forme de sentiment d’impuissance et un cloisonnement des idées alors que c’est essentiellement l’ouverture du champ des possibles qui produit de l’engagement dans l’action. Ces outils techniques et politiques seront-ils utiles et pertinents face aux situations non programmables ou lorsque la base de données ne peut pas proposer de réponse adéquate.
Comment reprendre le contrôle ? Comment s’orienter en dehors de la société des calculs ? Comment valoriser une subjectivité soutenante, vivante, face à la froideur des nombres ?
L’accompagnement viserait alors à créer des rencontres et de l’inédit, à garantir la prise en compte de chaque contexte, à créer les conditions d’une démarche partagée et humaine face à une rationalité souvent illusoire.
4 – Partir de la personne
Les démarches qualité ont souvent défini comme cadre de référence pour les professionnels des process conformes ou des standards, se traduisant souvent par des procédures à respecter quelle que soit la situation ou le contexte qui se présente.
Or chacun est unique et chaque situation est singulière. Alors l’enjeu sera de développer l’art de la personnalisation dans des cadres de plus en plus contraints et rigides.
Comment ajuster un accompagnement à la personne A dans un environnement B tout en tenant compte du cadre à respecter ?
Partir de la personne est une évidence, tant les situations d’aujourd’hui sont complexes, peu prédictibles, avec de multiples facteurs de risques et des enjeux très divers qui évoluent rapidement.
5 – Big Bang , disruption…
La sémantique de la radicalité se développe dans tous les champs de la société. Or, dans une société imprévisible, la question n’est plus tellement de prévoir mais de réajuster sans cesse. C’est donc moins de procédures dont nous avons besoin que d’agilité. Mais le risque, c’est que l’on exige de l’agilité dans des procédures de plus en plus contraignantes. Où tout doit être sous contrôle. Or, il n’y a pas d’agilité possible sans confiance.
Certes, la confiance peut être perçue comme un risque. Mais c’est bien aussi cela qui nous fait singuliers et irremplaçables.