Enjeux et conditions
La participation est à la une. Citoyen acteur, co responsabilité, usager contributeur… les formules ne manquent pas…Solution clé en main pour remettre de la délibération crédible dans une démocratie représentative à la peine ? Levier pertinent pour lutter contre la défiance généralisée vis-à-vis de l’action publique ? Espoir intense de retisser des liens entre citoyens autour d’une communauté de destin mobilisatrice ? Souhait de faciliter le sentiment d’appartenance, de lutter contre le non recours au droit et de retrouver des modes de conciliation plus apaisés ? Il y a tout cela bien sûr, et au-delà des modes et des formules faciles, on ne peut que se réjouir de cette préoccupation. Car, face à des formes prescriptives, verticales, où la parole de chacun a du mal à franchir le mur du silence, la lassitude est palpable. Et le collectif se nourrit souvent aujourd’hui des clivages voire des haines. Remettre du débat respectueux et attentif ne peut que faciliter la projection vers un monde commun désirable et le déploiement de projets au service de tous. La notion renvoie à des valeurs citoyennes, humanistes…apparemment consensuelles mais pourtant ambiguës dans leur mise en œuvre.
Aller au-delà des bonnes intentions ?
Pourtant, en parler n’engage guère. Nous en avons tous fait l’expérience. Y recourir est important. La faire vivre de manière efficace et sereine est une autre affaire. Une question culturelle ? Les limites de la représentation politique ? Le développement de populismes multiformes qui se nourrissent de l’hostilité, de la défiance et des radicalités ? Nous avons vu les difficultés à transformer du débat en consensus (grand débat, convention citoyenne sur le climat, controverses sur les référendums…). Pourtant, la participation avance. Et elle prend des formes multiples.
Alors, dans ce bref article, nous allons essayer à la fois de clarifier de quoi on parle et d’en préciser les enjeux individuels et collectifs. Nous chercherons ensuite à repérer en quoi la participation est vectrice de mobilisation du public jeune. Et à quelles conditions ? En apportant également un regard sur les impacts en termes de professionnalisme. Et en essayant de prendre en compte quelques ambiguïtés et paradoxes.
De quoi parle-t-on ? une large palette aux finalités diverses
L’étymologie est éclairante : « Participare » : prendre part à une action. Cela renvoie donc à la fois à une action dans un cadre « au-delà de soi ». En somme, prendre sa part dans l’action collective. Et pas uniquement être là. Quand on pousse la définition, on voit vite que participer renvoie à des réalités multiformes.
Tout d’abord, elle ne poursuit pas nécessairement les mêmes finalités. Nous sommes consultés quotidiennement pour donner notre avis, pour apprécier des produits, des services, des professionnels, les séries des plateformes de streaming… On voit bien qu’en l’occurrence, il s’agit surtout de construire des stratégies marketing augmentant la probabilité d’achat d’un potentiel client. Les enjeux démocratiques sont lointains. Il y est plus question de la construction d’un capital réputationnel fondé sur les outils des technologies de communication, amplificateurs d’influence sociale. Mais le mot d’influence sociale peut également être pris selon plusieurs acceptions. Nous verrons que, pour la personne qui participe, il est central qu’elle ait le sentiment de pouvoir avoir un impact, même minime. Ce qui pose la question des nombreuses consultations dites participatives qui sont souvent perçues comme des manières douces de faire accepter des décisions déjà prises. Ou plus largement quand les sujets de consultation sont décalés, voire dérisoires par rapport aux préoccupations et priorités des personnes.
La considération de l’autre comme focale
Mais au-delà, on perçoit dans de nombreux domaines l’évolution de la considération attribuée à la parole des personnes concernées. L’Éducation populaire y a largement contribué. Le domaine de la santé est très révélateur de cette progression et on trouve des mouvements d’auto organisation des patients partout dans le monde : université des patients, patient-expert, collectifs, participation des patients à la formation initiale des médecins. On retrouve cette sémantique participative dans les intentions européennes pour la jeunesse : « L’Europe doit s’appuyer sur la vision et la participation active de tous les jeunes pour construire un avenir meilleur, plus vert, plus inclusif et numérique ». Par ailleurs, dans le cadre de l’année européenne de la jeunesse en 2022, une des 4 priorités est d’encourager tous les jeunes, en particulier les jeunes ayant le moins de possibilités, à devenir citoyens actifs et engagés et des acteurs du changement. ».
Des paradoxes
Mais malgré la vigueur de multiples initiatives citoyennes partout dans le monde, la situation n’en reste pas moins paradoxale. On veut bien demander à l’usager son point de vue sur le service rendu (dans une logique de qualité-conforme). On manifeste plus de frilosité quand il s’agit de permettre à la personne d’être partie-prenante du service. En somme on est tout à fait disposés à recueillir des avis. Mais est-on vraiment prêt à modifier son point de vue initial ? En somme, le risque est toujours que la participation soit plus une bonne intention et qu’elle affecte peu le service rendu. Or, il n’y a pas de participation réelle sans impact réel. Ce qui suppose qu’en retour nous soyons prêts à des changements.
Cela nécessite également de distinguer plusieurs registres de participation : être là (présence) ; donner son avis sur des propositions ; faire des propositions ; contribuer ; être responsable de tout ou d’une partie. Or, pour reprendre Paul Ricoeur, il nous faut faire la distinction entre le pouvoir-dire et le pouvoir-agir, ce qui signifie de reprendre la main sur sa situation, de développer le sentiment que l’on peut avoir un impact sur ce qui nous arrivera. On perçoit l’analogie : la participation est un des leviers les plus puissants pour reprendre en main son propre destin, retrouver l’initiative, oser sortir des aspirations des autres sur soi, pour construire un monde à soi.
La participation du public jeune : une expérience à vivre « apprenante »
Vivre cette expérience partagée, c’est aussi s’affranchir d’une trop grande centration sur soi. On le perçoit dans l’agacement de certains jeunes face à des questions relatives à leurs aspirations. Comme s’ils devaient toujours être au clair sur ce qu’ils veulent vraiment ! Qui l’est actuellement ? Participer, c’est ainsi développer le sentiment de contribution à une œuvre collective, faire œuvre ; Le sentiment de pouvoir « y mettre du sien » ; L’élargissement de sa sphère d’influence ; L’augmentation des interactions avec d’autres ; l’observation et le vécu des effets produits (notamment sur soi) ; Le plaisir du partage et de la confiance réciproque ; L’apprentissage coopératif.
Et de nombreux autres impacts singuliers que les jeunes explicitent, quand ils sont en confiance. Ils se sentent capables pour reprendre la formule de Paul Ricoeur.
Valoriser les interactions et le soutien social
Mais il ne s’agit pas uniquement de mobiliser chaque jeune, de lui donner l’occasion de contribuer. Il s’agit aussi (et peut être surtout) de donner l’occasion à chacun de faire l’expérience à la fois de la reconnaissance et du soutien social. On peut distinguer trois effets :
- Ce qui relève de la reconnaissance (j’existe, je peux compter sur les autres, ils me font confiance…) ;
- Ce qui permet une comparaison sociale dynamisante et de la solidarité (il l’a fait, on l’a fait, c’est donc possible, c’est donc possible à nouveau) ;
- Ce qui m’ouvre à des solutions inconnues jusqu’à lors (je ne suis plus seul, j’enrichis mon réseau, je suis susceptible d’être destinataire d’opportunités…) où les jeunes sont plus destinataires d’attentions et mobilisés dans des interactions sociales nouvelles et multiples.
Du côté des professionnels, une posture et une ingénierie renouvelée de l’accompagnement ?
Les enjeux et nécessités de la participation du public accompagné à l’élaboration de l’offre de service et plus généralement, à tout ce qui le concerne, fait assez vite consensus. Les professionnels vivent eux-mêmes les transformations des usages et ils sont confrontés, en tant qu’usagers ou clients, aux mêmes questions.
Mais enrichir la pratique en y intégrant des processus de contribution réels et réguliers du public ne se décrète pas. Cela nécessite la prise en compte de plusieurs dimensions que nous résumons rapidement ci-dessous.
Pour la plupart des jeunes, participer n’est pas exceptionnel. C’est juste normal et d’un usage quotidien. C’est plutôt écouter en silence et donner ensuite son avis qui peut leur paraître décalé.
Comme nous l’avons précisé, la participation est multiforme et elle peut être perçue comme une nouvelle manière de prescrire. Il s’agit d’en préciser les formes les plus abouties et les conditions de pertinence.
La participation ne peut être ni prescrite, ni prédéterminée. Ce qui en fait la subtilité c’est qu’elle se construit en situation, chemin faisant, et nécessite pour les professionnels une réelle attention à ce qui se passe.
Cela nécessite également d’être au clair sur les spécificités des démarches participatives et leur lien avec les démarches actives. De ce point de vue, il ne s’agit pas uniquement d’agencer des moyens pédagogiques pour les rendre attractifs mais bien de laisser une part d’initiative au public. Et surtout d’en faire quelque chose avec les jeunes.
Cela suppose également le développement d’outils et de méthodes relevant plutôt de l’intelligence collective car centrés sur des processus de co-construction et de délibération.
En parallèle, cela peut s’adosser à un guide ou à un référentiel permettant de clarifier des principes d’action et des moyens concrets afin d’en percevoir les effets, les difficultés, les avancées voire les dérives.
Cela modifie la posture qui relève de processus d’aide à la co-construction, de facilitation ou encore d’intermédiation.
Conclusions et perspectives
On ne peut qu’être attentifs à ces pratiques sociales qui se développent, dans les offres de services proposées, qu’elles soient ou non initiées par la puissance publique. Laisser une part d’initiative au public concerné par le service, quelle qu’en soit la nature, est déjà un signe de reconnaissance qu’il est le plus à même de dire ce qui est important pour lui. Être reconnu dans sa singularité et écouté dans ses intentions, difficultés, hésitations, est déjà un moyen essentiel de construire un cadre d’accompagnement fructueux. Mais le public (nous sommes aussi le public) n’est pas dupe. Il verra vite si nous cherchons juste à le convaincre du bien-fondé de ce qu’on lui propose, en mettant plus de douceur et d’écoute dans nos propositions. Ce n’est pas de pédagogie prescriptive plus ou moins soft qu’il attend mais d’une écoute réelle. Cela suppose un certain nombre de principes :
Mettre en débat (logique de dialogue et de délibération) ; Coopérer (pas une simple répartition des rôles) ; co-décider ; réguler (ajuster au fur et à mesure avec les personnes) ; agir et faire ensemble ; accepter de lâcher une partie du contrôle et du pouvoir (confiance dans l’autre).
Créer des espace-temps de participation, c’est aussi accepter et faire fructifier les désaccords en créant des espaces de controverses structurés. En cela la participation est une expérience à vivre et un levier d’apprentissage collectif où chacun à quelque chose à apprendre de l’autre (personne, professionnel). Qui nous ramène à un principe clé : nous pouvons être tous contributeurs d’un avenir commun et inclusif.
Agnès Heidet et André Chauvet
Ressources
- Podcast RadioFrance : L’université des patients, redonner du pouvoir aux malades
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Voir le rapport des travaux conduits par la DGOS : https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_patient_formation_version_finale.pdf
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Selon l’expression heureuse de la sociologue Elsa Ramos : Le processus d’autonomisation des jeunes
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Devenir capable, être reconnu Paul Ricoeur, 2005, https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/Revue_des_revues_200_1152AB.pdf